La position de l’AECiut vis-à-vis de la Certification et le Projet Voltaire

Vous trouverez ici la position de l’AECiut vis-à-vis du Projet Voltaire, datant de 2013 et faisant suite à une première prise de position en 2009, ainsi qu’un diaporama rappelant le travail mené par l’AECiut sur la Certification en Langue Française présenté lors du colloque GEII à Bordeaux en juin 2015 (Commission Certification).

Présentation du travail sur la Certification mené par l’AECiut

COMMUNIQUÉ – Novembre 2013


La position de l’Association des Enseignants de Communication vis-à-vis du Projet Voltaire

Comme tous les ans, la société Woonoz qui commercialise le Projet Voltaire se livre en début d’année universitaire à une campagne de publicité offensive qui trompe un certain nombre de nos collègues et directeurs d’IUT. Le 20 novembre 2013, sur le site Educpros.fr est paru un article intitulé « De plus en plus d’établissements proposent à leurs étudiants de passer un certificat d’orthographe » et présentant le Projet Voltaire, comme un outil de référence et vantant son outil de certification.

L’Association des Enseignants de Communication en IUT (AECiut) se félicite du souci des représentants de l’enseignement supérieur de lutter contre une dégradation de l’orthographe des étudiants, mais souhaite rappeler ici pourquoi elle est opposée à la généralisation de cet outil dans les formations du supérieur.

L’AECiut ne cesse d’alerter depuis octobre 2009 sur la fausse solution que représente le Projet Voltaire pour lutter contre la prétendue baisse du niveau d’orthographe des étudiants. C’est effet par la porte des IUT que le projet Voltaire s’est imposé peu à peu dans le supérieur ces dernières années. Si l’initiative du projet Voltaire de s’attaquer aux difficultés d’expression écrite était louable, elle pose en revanche de nombreuses questions. Il ne s’agit pas pour nous de nous inscrire contre nos collègues utilisateurs de ces logiciels (Projet Voltaire mais aussi son concurrent Orthodidacte), pas plus contre les sociétés qui les commercialisent mais bien de poser les termes et les enjeux du débat autour de la question de l’expression écrite. En escamotant le débat, c’est aussi d’un diagnostic précis et efficace dont on se prive.

Un enseignement de la langue française existe déjà dans le supérieur

Un enseignement en expression écrite est proposé dans les cours d’expression et communication en IUT, dans les écoles d’ingénieurs dans les enseignements d’Humanités et dans nombre de filières de Licence et Master. En IUT, s’il est certain qu’à raison de 30 heures/semestre en moyenne il est difficile d’apporter une aide individuelle aux étudiants, nous avons réfléchi cependant à différentes perspectives de travail, ce qu’attestent d’ailleurs les divers travaux de l’AECiut depuis 2001. Vendre un outil de travail de l’orthographe qui ne soit pas coordonné à l’ensemble de la pédagogie de l’expression écrite est à notre sens une vraie bonne idée marketing, mais une fausse solution pour répondre aux besoins réels de nos étudiants.

Projet Voltaire, un outil adapté aux besoins réels ?

La problématique sur l’enseignement de la langue, de la maternelle à l’université est l’objet de nombreuses réflexions et l’une des préoccupations majeures de l’enseignant d’expression communication dans le supérieur. Cet enseignement de la langue préoccupe bien sûr aussi les parents, les professionnels, la société dans son entier. Cette question est particulièrement polémique dans notre pays : nombreux sont les ouvrages, les articles de presse, qui crient à la perte irrémédiable des savoirs orthographiques. Ce discours de déploration est ancien et trompeur. En 1820, on pouvait lire déjà : « Le style et l’orthographe de certains bacheliers offrent la preuve d’une honteuse ignorance » (cité in Brissaud Bessonat, L’orthographe au collège, Delagrave, 2001). On ne peut qu’être frappé de la fréquence avec laquelle l’orthographe est convoquée dès qu’on crie à la baisse de niveau.

Il est temps d’en finir avec un âge d’or orthographique. Il est en effet difficile de comparer les époques et les individus En 1960, seuls 20% d’une classe d’âge arrivait au collège. Aujourd’hui, la quasi-totalité des élèves vont jusqu’en Troisième. Les redoublements de classes sont désormais proscrits. Il en résulte une forte hétérogénéité des classes dans lesquelles on retrouve cependant autant d’élèves bons orthographieurs qu’avant (cf. Travaux de D. Manesse et A. Chevrel) mais aussi bien sûr des élèves en grande difficultés. Ces élèves en difficultés se retrouvent en partie dans le supérieur puisque la société a fait le choix d’amener 80% d’une classe d’âge au baccalauréat.

En réalité les capacités langagières de l’élève qui arrive au collège, puis au lycée, et sans doute à l’université ne sont pas achevées. Il faut admette qu’il y a un apprentissage continué de l’orthographe et de la langue en général. L’université, qui a pris acte de cette maîtrise (très) partielle de la langue l’a bien compris : les dispositifs de révision et de remédiation se multiplient. Mais sous-traiter cette remise à niveau par des entreprises « spécialisées » est inefficace si on se contente des vieilles recettes et de l’idée magique de l’imprégnation, fonds de commerce du Projet Voltaire, car ces modes ne sont pas opératoires.

En effet les vieilles recettes partent de l’idée qu’il faut bien objectiver les problèmes orthographiques pour les traiter et faire le pari qu’après un temps de structuration et d’imprégnation, le transfert va s’opérer vers les activités complexes de production écrite. Un peu comme la conduite d’un véhicule : il y a un temps où on roule et un temps où l’on s’arrête, on soulève le capot pour comprendre comment ça marche. Cela permet de travailler à part le fait de la langue, de l’isoler d’autres opérations textuelles, d’évacuer de la surcharge cognitive. Les formes de cet apprentissage sont bien connues : mémorisation, apprentissage des règles, application avec exercices calibrés. Le risque est qu’il n’y ait pas de lien entre les types d’écrits demandés par la sphère socioprofessionnelle et universitaire. Beaucoup d’enseignants de français (primaire, collège) témoignent du fait que bien souvent les élèves ont travaillé telle ou telle règle, la connaissent, et pourtant ne l’appliquent pas. Du reste, on peut le dire pour d’autres domaines que celui de l’orthographe (tel enseignant d’électronique qui se plaint auprès de son collège de mathématiques parce que les étudiants ne savent pas résoudre telle équation…)

Sans rejeter totalement l’approche traditionnelle, il faut donc privilégier une approche intégrée, qui privilégie les réels besoins des étudiants, qui propose des tâches authentiques et motivantes, qui fasse une large place à l’enseignement de l’écriture et de la réécriture (voir l’ouvrage de F. Chaucheyras et C. Gaboriaux, L’orthographe après le bac – Se remettre à niveau pour réussir les écrits professionnels et universitaires, Ellipses 2012). Mettre l’accent sur la seule maîtrise linguistique, c’est ignorer que la compétence écrite fait appel à des savoir-faire tels que 
 savoir repérer ou exprimer des contenus essentiels, maîtriser la cohérence textuelle (articulation logique, construction des textes, la progression et hiérarchisation de l’information, connaître la place de la ponctuation, enseigner le vocabulaire général et spécifique pour procéder à une rédaction technique claire, savoir synthétiser, savoir distinguer propos objectifs/subjectifs, savoir identifier une source d’information, savoir choisir des stratégies… La compétence écrite, comprenant compréhension et expression, si elle s’exprime au travers de codes linguistiques (dont la non-maîtrise est facilement repérable), fait appel à des savoir-faire complexes. Faire croire que trois exercices structuraux même s’ils ont un support informatique règleront la question de l’autonomie de nos étudiants, c’est méconnaître les enjeux véritables.

L’orthographe est un outil et non pas une compétence

Ainsi la seule maîtrise des règles ne garantit pas le sens de ce qui est exprimé, or le Projet Voltaire n’avance rien en la matière. En faire la panacée et le remède révolutionnaire annoncé semble donc bien excessif. Les choix didactiques de Projet Voltaire sont donc assez largement discutables et les mesures de progrès affichées bien plus encore. D’autant que l’accroissement de compétences n’est validé par rien. Le test final n’est en fait que la mesure de l’adaptation de l’étudiant à l’exercice, un test de mémoire et non la validation de la bonne compréhension des règles, encore moins un gage de leur utilisation dans le cadre de l’expression personnelle dans une situation de communication réelle.

Projet Voltaire, un logiciel révolutionnaire ?

D’un autre point de vue, les choix de communication autour de l’adoption du Projet Voltaire par 500 écoles et universités relayée par les médias nationaux ressemblent à une manipulation qui vise à imposer le projet Voltaire comme la solution unique et universelle au travail de l’expression. En effet, s’appuyer sur l’adhésion de la masse (comment ne peut-on pas être d’accord avec une si louable initiative ?) revient à tuer le débat pédagogique avant même qu’il ait eu lieu. En l’occurrence, il se trouve que pour se construire une opinion il faut être au préalable informé ; la qualification du projet Voltaire comme étant un logiciel “révolutionnaire” (Le Parisien du 28/09/09) montre qu’il s’agit moins d’information que de partialité. Le fait d’être le premier n’est pas suffisant pour être révolutionnaire. De surcroît une connaissance même partielle des outils de remédiation, anciens ou récents montre que ce mode d’apprentissage basé sur la seule répétition et la mémoire visuelle est tout sauf révolutionnaire. Que l’argumentaire commercial soit partial, nous n’y voyons rien de choquant mais qu’il s’agisse d’information cela reste à démontrer.

Par ailleurs, notre association a identifié depuis plusieurs années d’autres logiciels, par exemple une version canadienne mise en place dès 2007, qui a l’avantage d’être gratuite et, selon nous, plus performante. Des parcours de remédiation en orthographe ont été construits en IUT à partir de cet outil et intégré aux enseignements d’Expression – Communication.

Projet Voltaire, une solution aux réductions de budget ?

Le choix de l’adoption du projet Voltaire peut aussi inquiéter les enseignants de communication en IUT et leurs collègues des écoles d’ingénieurs et universités, dans la mesure où on peut imaginer la tentation dans certains établissements ne disposant pas d’enseignants titulaires de faire des économies d’heures en remplaçant les cours de communication par un travail de l’expression écrite en autonomie.

Les dangers de la délégation de la certification des compétences

Enfin, il reste à mettre en perspective le retour particulièrement vif des questions d’expression dans l’ensemble du système éducatif français et de s’interroger sur le sens d’une délégation de compétence de certification du niveau des étudiants. Il nous semblait que jusqu’à présent seul l’État garantissait la certification des compétences à travers des diplômes. Les certifications extérieures à l’Université et à l’Education Nationale plus généralement ne sont-elles pas une nouvelle forme de réduction de la légitimité même des enseignements dispensés ? Accepter ainsi que le Bac ou que le DUT ou la Licence ne sanctionnent plus un niveau de maîtrise de la langue (ou plus globalement un ensemble de compétences) et qu’il faille avoir recours à des certifications venues d’organismes dont la qualité n’est attestée par personne et contrôlée par rien revient à jeter sur les diplômes le plus grand discrédit. Si l’on voulait saper les fondements de notre système éducatif, il ne faudrait pas s’y prendre autrement. Si certification du niveau d’expression écrite il doit y avoir, il est impératif qu’elle soit l’œuvre de l’éducation nationale. Le TOEIC est l’exemple même de la difficulté soulevée. Nous préparons les étudiants, les faisons travailler mais nous ne pouvons pas garantir leur niveau en anglais lorsque nous accordons un diplôme. Les pragmatiques diront qu’il faut affiner l’évaluation et l’individualiser. Mais alors si cette démarche est valable pour l’anglais, maintenant pour l’expression écrite et pour la maîtrise de l’informatique, pourquoi demain ne faudrait-il pas créer des indicateurs pour chaque discipline ? Cette démarche revient dire de la manière la plus simple : ce que nous certifions n’a aucune valeur. Mais peut-être faut-il faire de l’éducation un secteur marchand comme les autres et ouvrir à la concurrence les diplômes, car c’est là le sens exact de la prolifération des certifications des compétences hors des diplômes ? Donc s’il faut être pragmatique et répondre aux besoins de recrutement des entreprises qui souhaitent avoir un indicateur plus précis du niveau des candidats dans certains domaines spécifiques, alors certifions nous-mêmes ces compétences. L’informatique a aussi ouvert des voies avec les B2II et C2II. Dans une société où l’école et les institutions de savoir voient leur image se dégrader et perdre de son éclat, il est plus que prudent de conserver la valeur de nos diplômes et qu’ils restent communément admis comme les seuls référentiels ayant une véritable valeur. Sinon comment justifier pour les professeurs dans leurs classes la légitimité de leur parole, de leur savoir, donc de leur autorité ? Ces questions ne sont pas simplement des problèmes techniques, elles sont bien plus largement des signes donnés à la société, il faut y être attentif et en peser toutes les conséquences sur le court terme mais aussi à long terme. Les bonnes intentions, pour louables qu’elles soient, ne suffisent pas : il est non seulement nécessaire d’en évaluer la portée pratique mais encore de réfléchir aux effets qu’elles produisent sur la société.

C’est pourquoi, afin de répondre à ce nouveau besoin de certification qui rassure plus qu’il n’est efficace, l’AECiut a initié en 2011 un projet de création d’une certification transversale destinée à évaluer les compétences de communication socioprofessionnelle dans un premier temps et à titre expérimental des étudiants de DUT ou de Licence Professionnelle quelles que soient leurs spécialités, et par la suite généralisée au niveau Licence. A ce titre, notre association a demandé le soutien de la Direction Générale pour l’Enseignement Supérieur et l’Insertion Professionnelle pour créer un collège réunissant experts (en communication mais aussi des linguistes, des spécialistes de l’apprentissage des langues…), des recruteurs représentant les entreprises et leurs besoins, des enseignants et des spécialistes de la certification, et si nécessaire des spécialistes de la démarche qualité. Encore une fois, si la demande d’une certification s’exprime, alors qu’on l’entende mais qu’on travaille réellement sur le besoin afin d’obtenir un indicateur fiable, compatible avec la réalité des diplômes existants, cohérent avec l’ensemble du système et non un prétexte à l’utilisation d’un outil. Dans ce cadre, alors, l’AECiut est prête à tenir toute sa place et entend jouer son rôle. Nous restons ouverts au débat et actifs en vue de fournir à nos étudiants la meilleure formation possible.

Mathilde Nouailler – Présidente de l’AECiut